De l’audit à charge contre une organisation syndicale à l’interdiction aux magasiniers/ères de lire en salle de lecture
Depuis 2014 le département de la Musique de la BnF traverse une crise, essentiellement liée à des problèmes de sous-effectif et d’organisation du travail, mais aussi à des pratiques pour le moins discutables de « management ». Depuis des années, notre organisation syndicale n’a cessé de dénoncer cette situation délétère, tout comme la décision de la direction de vendre le bâtiment Louvois, qui a contraint le département de la Musique à intégrer le site de Richelieu dans des conditions plus que contestables[1]. Alors que la situation a connu une amélioration courant 2018, suite notamment à nos interventions syndicales, aujourd’hui le département semble à nouveau au fond du gouffre. Depuis plus d’un an, la souffrance au travail est le quotidien d’un certain nombre d’agent.es, dont plusieurs se terrent dans le silence, tandis que les arrêts maladie et les demandes de mutation se multiplient. Pour notre organisation syndicale, la responsabilité de cette situation est bien celle de la direction de la BnF qui, après avoir laissé la situation littéralement « pourrir », en vient à mettre en œuvre les pires méthodes pour se dédouaner.
Quand les choses vont mal, un audit patronal et ça repart !
Ce recours à des cabinets privés généralement fort couteux[2], pratique très à la mode dans le secteur privé depuis des années, consiste ni plus ni moins, sous le faux prétexte d’un regard « extérieur » sur une situation, en une externalisation des moyens d’analyse et de résolution des problèmes, fonction relevant pourtant des compétences des ressources humaines. Plutôt que de traiter les problèmes dans les instances compétentes (notamment le Comité Hygiène, Santé et Sécurité au Travail), ou encore de prendre réellement en considération les courriers émanant d’organisations syndicales représentatives ainsi que les alertes de la médecine de prévention, plaçons entre les mains d’« expertes » autoproclamées d’un cabinet d’audit l’avenir d’un département et de ses personnels.
Après avoir entendu les agent.es du département, le cabinet a commis un premier bilan, totalement partisan, puis a organisé un séminaire infantilisant, orientant une partie des agents, a plus ou moins se transformer en tribunal populaire, pour que le cabinet d’audit détermine finalement une des principales causes des dysfonctionnements : « une posture syndicale à recadrer », des personnes syndiquées désignées comme responsables et littéralement jetées en pâture ! Cette surprenante analyse, présentée sans complexe dans les conclusions d’un audit commandé par la direction de la BnF, a ainsi été soumise sans filtre à l’appréciation des organisations syndicales ainsi qu’aux membres du CHSCT de la BnF le lundi 17 février 2020.
Une « maladresse » qui en dit long
Suite aux réactions des organisations syndicales, et en premier lieu de la section SUD Culture de la BnF, sur le caractère inadmissible de cette formule, la direction de la BnF tout comme le cabinet d’audit KPMG[4] ont rapidement adopté la position habile du rétropédalage : il s’agit d’une « maladresse » de langage… A la place, il serait manifestement préférable de parler de postures individuelles de représentant-es syndicaux/ales, ce qui revient grosso modo au même : stigmatiser les lanceurs/euses d’alerte et lyncher les formes jugées non agrées de l’expression syndicale, autre exercice en vogue dans le secteur privé comme désormais dans le public. Ce type d’attaque présente en fait les symptômes d’une pratique par ailleurs illégale, qui est celle de la discrimination anti-syndicale, forme d’entrave souvent accompagnée de traitement différencié des personnes syndiquées, d’individualisation de l’expression d’une organisation (par exemple en demandant à un ou une agent-e des explications sur un tract émanant de son organisation), ou encore d’une surveillance particulière, de pratiques d’intimidations, voire de mise au placard (« bore-out ») etc…
Cette notion de « posture » est en fait une formule courante du patronat et de ses alliés, visant à délégitimer l’expression des syndicats, surtout quand ceux-ci sont combatifs : ainsi les syndicats et leurs représentant-es ne porteraient pas de revendications basées sur une expérience professionnelle et un collectif, mais adopteraient une « posture » n’ayant pas d’autre finalité qu’elle-même. C’est donc la soi-disant posture qu’il faut attaquer, les vrais problèmes n’étant traités que de manière superficielle, une fois qu’un ou une coupable[5] aura bien été désigné-e publiquement, ce qui a été fait au département de la Musique. Ce type de manœuvre est une pratique managériale fréquente, dont nous constatons au-delà des murs de la BnF qu’elle se fait chaque jour plus violente[6].
Après avoir trouvé des boucs-émissaires, un plan d’action bidon !
Sur la base de cet audit commandé par la direction de la BnF, les premières mesures sont donc tombées. Les agent-es doivent désormais suivre une série de mesures censées leur permettre de retrouver une forme de « cohésion », autre mot à la mode visant en réalité à faire taire toute critique au profit d’une attitude commune bien lissée permettant d’éviter les vagues. Parmi les mesures présentées qui ont suscitées une forme de stupeur pour une partie du personnel, sont apparues des injonctions tant lunaires qu’autoritaires.
Premier exemple, une « demande à tous les agents de maintenir leur porte ouverte le plus souvent possible »… Quelle logique peut bien conduire à obliger les personnels à s’exposer malgré eux/elles toute la journée durant ? La contrainte est-elle un moyen de rétablir de la sérénité dans un département soumis à une situation de souffrance au travail ?
Un autre exemple est celui … d’une interdiction de lire en salle de lecture ! Plus précisément cette interdiction semble ne concerner que les magasinie.ères, si l’on en croit l’interprétation qui a été donnée lors d’une réunion de département. La question se pose : les magasinier.ères qui lisent des livres sont-ils/elles dangereux.ses ? La direction du département a justifié cette mesure par un argument des plus populistes : Le public qui soi-disant paierait les salaires des magasiniers/ères ne serait pas content de les voir lire ! Pourtant, le livre crée du lien et parfois, même de la complicité : qui n’a pas souvenir d’une conversation engagée par un lecteur ou lectrice autour d’un livre lu par un-e agent-e ou consulté par un lecteur ou une lectrice ? Une bibliothèque où il est interdit de lire, c’est le comble de l’absurde ! Le Louvre va-t-il interdire à ces agent.es de regarder les œuvres ? La direction de la BnF compte-t-elle désormais convoquer l’ensemble des magasiniers/ères de la BnF qui ont osé ouvrir un livre aux instants les plus calmes de leur service public pour les contraindre de cesser cette activité manifestement insupportable ?
Autre mesure, et pas des moindres : la mise en place d’une « réorganisation du service public » ! La direction prévoit ainsi, grâce à la solution miracle de la « réorganisation » qu’elle pratique régulièrement[7], la suppression d’un poste de magasinier en salle de lecture. L’accueil et l’attribution des places seraient désormais réalisés par les président.es de salle, l’unique magasinier/ère présent-e en salle ayant en charge l’installation des microfilms et les documents mis de côté. Le ou la magasinier/ère en charge des prélèvements qui était jusque-là en salle de lecture, sera relégué-e dans un bureau… Cachez donc ces magasiniers que nous ne saurions voir ! Ce projet va concrètement dégrader la qualité du service public et les conditions de travail des agent.es. Étonnant quand la direction de la BnF claironne à tout va que priorité doit être donnée au service public !
En lieu et place d’un vrai plan d’action, associant les agent.es du département, le service de prévention et le médecin, la direction opte pour des mesures autoritaires et totalement décalées. Quelle déception et quelle trahison pour les personnels du département ! Rappelons que le but annoncé par la direction au début l’audit était pourtant de résoudre les problèmes de souffrance au travail dans le département.
La supercherie doit cesser !
Pour notre organisation syndicale cette attaque est annonciatrice d’un climat et d’un type de management qu’elle voit entrer, sous différentes formes dans notre établissement. Conjuguées aux difficultés de dialogue, aux passages en force réguliers sans consultation des personnels (dernier ex. avec le déplacement des agent-es du DEP hors de leur bureaux sans leur demander leur avis), à l’abandon de certains chantiers (tel celui des préconisations issues de la délégation d’enquête de 2015), ou encore le groupe de travail portant sur l’amélioration des conditions de travail), ces méthodes ne peuvent conduire qu’à un délitement des collectifs de travail, et à la remise en cause de toute forme de critiques des choix opérés par la direction.
Ni la direction de la BnF, ni un cabinet d’audit privé, n’ont à juger la légitimité de l’expression d’un syndicat et des formes qu’elle peut prendre. SUD Culture revendique son indépendance, son fonctionnement horizontal, tout comme sa liberté de s’exprimer selon les modalités qu’elle choisit. Elle encourage l’auto organisation des salarié-es, qu’ils/elles soient syndiqué-es ou non, l’expression libre de tous et toutes en dedans ou en dehors des instances institutionnelles, que ce soit par des prises de parole, des pétitions, des rassemblements ou encore la grève. Elle dénonce fermement toute manœuvre visant à stigmatiser, isoler, ou encore à individualiser son expression à travers ses membres pour mieux la contraindre ou la contrôler, la direction de la BnF n’étant pas à sa première tentative en la matière. Un coup porté contre l’un ou l’une d’entre nous étant un coup porté contre nous tous/tes !
Pour une réelle amélioration de la situation au département de la Musique, notre organisation syndicale exige :
►l’arrêt de la stigmatisation des personnels de catégorie C et de la répression contre les personnels syndiqués
►l’arrêt de la réorganisation du Service Public et le retour au postage de 3 magasiniers/ères en salle de lecture
►le recrutement d’un-e chef-fe magasinier/ère pour la gestion quotidienne de l’équipe de magasinage
►La mise en place d’une réelle concertation avec les agent.es du département et l’arrêt des mesures autoritaires
►Un renfort d’effectif pour permettre au déménagement de se faire dans de bonnes conditions
[1] https://sudculturebnf.wordpress.com/2018/03/02/richelieu-le-ministere-nous-promene-continuons-la-mobilisation/
[2] Notre organisation syndicale compte demander le coût de cet audit, la direction refusant par ailleurs de communiquer le coût des séminaires de « coaching » régulièrement organisés dans ce département.
[4] Cabinet non agréé par le Ministère du Travail
[5]notons qu’il est plus facile d’exercer ce genre de manœuvre contre des agent.es de cat. C
[6] https://solidaires.org/Proces-France-telecom-Un-interdit-majeur
[7] https://www.actualitte.com/article/monde-edition/greves-a-la-bnf-le-personnel-inquiet-pour-l-avenir-des-effectifs/91249