Conditions sanitaires et sociales de la réouverture des lieux culturels : annonces et engagements de la directrice du cabinet

SUD Culture Solidaires, rejoint par la CGT et la FSU, avait demandé que le CTM du 26 mars s’empare de la question de la réouverture et du mouvement d’occupation des lieux culturels. A défaut, nous avions proposé qu’en l’absence de la ministre retenue pour cause de contamination au COVID-19, la directrice du cabinet organise une réunion sur ces sujets. C’est cette dernière solution qu a été retenue (13 avril). Voici ce qu’il faut en retenir.

CONDITIONS SANITAIRES DE REOUVERTURE

S’il y a eu des fermetures de certains EP, certains établissements culturels (bibliothèques, archives, parcs et jardins) ont continué de recevoir du public et, dans d’autres, l’activité en présentiel a très vite repris, dans des conditions sanitaires et psychologiques parfois déplorables.

Ainsi, à la Bibliothèque nationale de France, à partir de janvier, le retour massif des agent.es sur site a entraîné une augmentation rapide du nombre de contaminations et l’apparition de clusters dans des services. En outre, il y a une réelle inégalité de traitement entre les personnels puisque les agent.es de catégorie A ont pu massivement être en télétravail et peu présent.es sur site, alors que les agent.es de catégorie C devaient travailler sur place et ont donc été beaucoup plus exposé.es aux risques de contamination. La fin de la proratisation du temps de présence sur site pour les agents travaillant à temps partiel n’a absolument pas été comprise. Cette mesure, qui n’a aucun sens sanitaire est aussi une vraie injustice sociale car elle a contribué à l’augmentation de la présence sur site, pénalisant ces agent.es qui, comme ailleurs, figurent parmi les plus précaires et sont principalement des femmes. Nous pourrions faire le même constat à la BPI et aux Archives Nationales. Ainsi qu’à l’Inrap, où les contrats CDD sont découpés mois par mois, voire quinzaine par quinzaine, ce qui accentue toujours plus la précarité. De plus, pour les agent.es en grand déplacement, la direction ne leur proposant pas d’offres d’hébergement et de restauration, ils/elles en sont réduit.es à manger des sandwichs midi et soir. D’autre part, comme la CGT Culture l’a signalé, un nombre considérable d’agent.es, dont la rémunération est en partie liée au « service fait » et sur des crédits « mécénat », ont perdu des milliers d’euros de revenus. Pour les CDD dont les contrats ont été prolongés de mois en mois depuis le 2e confinement (octobre 2020), cette mesure est bien prolongée jusqu’au 30 juin, mais il sera mis fin à cette mesure dérogatoire a compter du 1er juillet. Concernant les alertes à la BNF et à la BPI, la directrice du cabinet indique ne pas en avoir connaissance et qu’elle allait faire le point avec la DGMIC et la direction de ces deux établissements pour savoir ce qu’il en était. Pour l’Inrap, elle n’y trouve rien à redire, estimant que cet établissement est dans une situation très spécifique !

Sur le taux de contamination, le secrétaire général nous renvoie à ses tableaux Excel qui indiquent que le taux d’incidence du Ministère est globalement dans la moyenne interministérielle. Il convient que les RPS sont une vraie question et rappelle qu’il s’était engagé à faire une enquête ad-oc avec un questionnaire scientifique qu doit être élaboré en lien avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Rien ne sera lancé avant une discussion en CHSCTM.

Pour l’intersyndicale Culture, il faut aller plus loin et faire un véritable bilan sanitaire et social des collectifs de travail si l’on veut préparer au mieux la reprise d’activités et éviter une nouvelle vague de contamination.

REOUVERTURE DES LIEUX CULTURELS

Tout en assurant qu’elle serait attentive à ce que cette réouverture soit bien préparée dans le dialogue avec les représentant.es du personnel, la directrice du cabinet nous a d’ores et déjà précisé les conditions et étapes de la réouverture qui, en fait, ont été déclinées le lendemain par E. Macron puis fait l’objet d’annonces assez confuses. Un CHSCT Ministériel extraordinaire sera réuni, en présence l’espère-t-elle de la Ministre, pour définir les principes ministériels d’organisation du travail et les modalités de déclinaison des règles sanitaires.

Un panier d’indicateurs, pas encore complètement fixé, sera basé sur plusieurs critères. Des éléments sanitaires de type épidémiologique sur l’état de la pandémie, mais qui ne seront plus basés sur un chiffre comme cela l’a été en décembre (chiffre de contamination ne devant pas dépasser 5000) mais sur l’évolution de la pandémie, le nombre de lits de réanimation occupés et l’avancée de la couverture vaccinale de la population.
La réouverture ne pourra se faire que dans un cadre strict qui soit protecteur pour les agent.es et pour le public. Les conditions restrictives qui en découleront seront adaptées à chaque secteur et chaque établissement. Ces grands principes ministériels seront déclinés dans chaque structure. Les représentant.es du personnel, à travers les CHSCT locaux, pourront s’assurer de leur bonne adaptation.Les Directions Générales seront mobilisées pour adapter les guides sectoriels aux conditions pratiques requis pour cette réouverture (gestes barrière, jauge, règles de distanciation,…).

Les réouvertures se feraient en trois phases (non encore fixées) de 3 à 4 semaines chacune pour aboutir à une réouverture totale avec des protocoles d’exigences décroissantes. La phase 1, qui concernerait l’ensemble des lieux culturels, pourrait débuter mi-mai. Les jauges seraient très strictement limitées mais différentes en fonction des spécificités de trois types de lieux : bibliothèques/archives qui sont restées ouvertes, musées/monuments/centres d’art, cinéma/salles de spectacles. Dans une deuxième phase, les contraintes de jauge seraient allégées et, dans la dernière phase, les contraintes de jauge disparaissent complètement mais le maintien des gestes barrière subsiste.

Les rassemblements dans l’espace public font l’objet d’un traitement à part. Les guides conférenciers, dont la situation a fait l’objet de discussions au niveau interministériel, doivent pouvoir reprendre leurs activités. Les manifestations en plein air, comme les festivals de rue font toujours l’objet de discussions interministérielles.

Concernant l’enjeu particulier des festivals, elle a rappelé les trois critères évoqués par Roselyne Bachelot : jauge de

5000 personnes maximum, rester assis et respecter une distanciation entre les personnes. La saison des Festivals, qui pourrait commencer au mieux dans le courant du mois de mai, plus certainement en juin, est concernée par les trois phases de réouverture. La directrice du cabinet s’est engagée à mener un dialogue approfondi avec les professionnels pour étudier comment accompagner, y compris financièrement, les
festivals dans une situation qui demeure incertaine et pour leur donner de la visibilité. Cette jauge de 5000 personnes, dont on se demande sur quel fondement scientifique elle se fonde, interdit de fait les grands rassemblements qui ont soit reporté leur édition à plus tard dans l’année, soit annulé purement et simplement (Hellfest, Eurockéennes de Belfort, Solidays,….). Ce sont essentiellement les musiques actuelles » (rock, électro, métal et hip-hop) qui en font les frais.

Le maintien ou non du couvre-feu et de son heure aura bien entendu une incidence forte sur la réouverture des cinémas et lieux de spectacle, ce qui suppose qu’on en revienne au billet faisant foi pour rejoindre son domicile sans risquer une amende.

Selon les dernières annonces gouvernementales que nous apprenons par voie de presse, tous les lieux culturels (ce qui reste à vérifier) pourraient en fait rouvrir, sous conditions et, éventuellement selon les régions (35 % du public pendant trois à quatre semaines, puis 65 % sur une période similaire et 100 % à la mi-juillet), le 17 mai. Ces annonces sont bien entendu à prendre au conditionnel, tant elles dépendent de l’évolution de la situation sanitaire et du rythme des vaccinations.

Le ministère ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur les conséquences longues de la crise sur les pratiques culturelles qui ont profondément été modifiées durant la crise. Des données statistiques sur la fréquentation des lieux culturels qui sont restés ouverts pendant le confinement sont indispensables. Après avoir été habitué au tout numérique est-ce que le public va retrouver les salles et se réapproprier les lieux culturels ? Est-ce que la pratique du clicquer-collecter dans les bibliothèques va perdurer et donc participer à une évolution des métiers ? Comment va t-on gérer l’embouteillage prévisible pour assurer la diffusion des productions de spectacle qui ont été montées, des films qui ont été tournés et des expositions qui ont été conçues ? Comment faire pour que la culture irrigue tous les territoires, en favorisant par exemple, comme l’a proposé l’UNSA, le développement de petites structures, de chapiteaux mobiles financés sur le plan de relance pour rapprocher la culture des publics, améliorer la diffusion, favoriser des petites compagnies. Sur tous ces sujets, la directrice du cabinet s’est déclarée intéressée, mais il faudra aller plus loin.

C’est également le modèle économique de la culture qui doit être remis en cause. Les Établissements publics sont dans une très grande difficulté financière en raison du désengagement de l’État et de la baisse des ressources du mécénat qui ne permettent plus de financer leurs missions. Invoquer sans cesse les 10 milliards d’aides compensatoires versés au secteur culturel public et privé ne suffit pas, se féliciter que la France s’en est mieux sorti que d’autres pays, non plus. Alors qu’il y urgence, le secrétaire général s’est contenté de nous dire que c’était une « bonne question pour l’avenir » et qu’il aura des rendez-vous dédiés pour en parler.

LE MOUVEMENT D’OCCUPATION

Depuis plus d’un mois, les acteurs de la culture, parmi les plus précaires, sont fortement mobilisés sous des formes diverses pour obtenir satisfaction sur un certain nombre de revendications. SUD Culture, qui participe activement à ce mouvement aux côtés de la CGT, de la CNT et d’autres structures syndicales, de la CIP, de non syndiqué.es, ‘étudiant.es et autres précaires, a exprimé sa solidarité envers toutes celles et ceux qui luttent pour leur survie. Nous avons rappelé nos revendications : un large plan de relance qui ne soit pas axé sur l’investissement, la prolongation de l’année blanche, à compter de la reprise totale de l’activité sur les droits au chômage pour les intermittent.es du spectacle et d’autres précaires, l’ouverture immédiate aux cotisant.es des annexes 8 et 10 sans conditions, aux droits sociaux, la validation automatique de tous les trimestres pour la retraite jusqu’à la reprise complète.

La réponse de la directrice du cabinet était particulièrement attendue. Certes le ministère suit « avec beaucoup d’attention les occupations de lieux culturels», certes la lutte contre la précarité « focalise son attention », mais elle reconnaît que sa marge de manoeuvre est faible et que le ministère de la culture ne pourra pas tout prendre en charge. La ministre attend le rapport André Gauron qui est encore en train de travailler sur les différents scénarios qui pourraient être mis en place après le 31 août 2021 1. Elle a demandé à André Gauron de se pencher particulièrement sur les jeunes artistes en sortie d’école qui vont arriver sur le marché du travail et pour lesquels la situation est particulièrement complexe. Ensuite, il y aura un travail interministériel pour se mettre d’accord sur une piste puis il y aura une concertation avec les organisations syndicales sur les pistes privilégiées. Nous estimons que la concertation doit aller au-delà des seules organisations syndicales mais intégrer également les collectifs actuellement en lutte. Au moment où nous finalisons ce compte-rendu, nous apprenons (une nouvelle fois par la presse) que ce rapport est disponible depuis le 21 avril. Nous y reviendrons.

Quant au plan de relance, il est beaucoup centré sur l’investissement mais il y a aussi des mesures qui concernent le fonctionnement avec des enveloppes qui ont notifiées et déléguées en DRAC. D’autre part, la ministre a annoncé récemment une mesure complémentaire de 20 millions d’euros pour les équipes artistiques, à la fois celles qui sont déjà identifiées par les DRAC,mais aussi des équipes qui n’étaient pas forcément aidées par le biais de convention ou d’aides à projet. Nous avons demandé à la DGCA plus de précisions sur le montant et la répartition de ces enveloppes au niveau des régions. Pour l’instant, même pas un soupçon d’accusé de réception. Ce qui démontre une nouvelle fois qu’entre les déclarations de bonnes intentions et la réalité des faits, il y a un gouffre, habile transition vers le dernier
paragraphe.

L’ECHEC DU DIALOGUE SOCIAL

En effet, toutes les organisations syndicales se sont de nouveau élevées contre un dialogue social dégradé, mis en oeuvre dans ce ministère. Sa qualité est évaluée par l’administration uniquement à l’aune des croix cochées dans des cases d’un agenda social particulièrement chronophage. Des protocoles de reprise ont beau être rejetés par l’ensemble des organisations syndicales, rien n’y fait. Ni les agent.es ni leurs représentant.es ne sont écouté.es.

La directrice de cabinet nous a ressorti ses habituels éléments de langage. Elle accorde beaucoup d’importance au dialogue social et elle s’engage à assurer un suivi des conditions dans lesquelles seront traitées les modalités de reprise dans les différents EP. Pour la situation de l’Inrap, elle s’engage aussi à organiser une réunion dédiée au niveau du cabinet et de la DGPA pour essayer de comprendre où sont les points de blocage. Et enfin, cerise sur le gâteau, elle va mandater officiellement le Secrétaire Général et les directions générales pour préparer le prochain CHSCTM pour que les conditions sanitaires de la reprise pour les agent.es soient traitées de manière approfondie. Comme si ça n’allait pas de soi. La révolution est en marche….

Sans grande surprise, les réponses très diluées de la directrice de cabinet n’ont pas été à la hauteur des enjeux et de nos revendications. La « pensée complexe » semble dispenser le Ministère de toute réponse concrète et sérieuse aux inquiètes légitimes des acteurs et actrices de la culture. De notre côté, nous serons dans la rue le vendredi 23 avril pour défendre nos droits sociaux, contre la casse de l’assurance chômage et pour un vrai plan de relance ! A la Culture comme ailleurs, pas de réouverture sans protection ! Pas de réouverture, sans droits sociaux !

SUD Culture Solidaires, le 21 avril 2021.

1 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Situation-des-intermittents-du-spectacle-a-l-issue-de-lannee-blanche-diagnostic-et-propositions